ActualitéLa libéralisation du secteur de l’énergie solaire au Burkina Faso
Introduction
L’Union Africaine s’est fixée des objectifs de développement durable d’ici 2063 qui passent nécessairement par un accès, plus large et permanent, des populations à l’énergie électrique. Les Etats membres de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont élaboré des stratégies et adopté des textes communautaires pour aider à atteindre ces objectifs. Ces dernières ont fortement encouragé les Etats membres à accorder une attention particulière aux énergies renouvelables : solaire, biomasse, éolienne, non seulement au regard de leur potentiel, mais également pour tenir compte du contexte international marqué par une volonté de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Burkina Faso, à l’instar des autres pays du Sahel qui bénéficient d’un fort ensoleillement, a prévu d’accroitre la part de l’énergie solaire dans son bouquet énergétique par la construction de centrales photovoltaïques. Etant donné que les Etats se heurtent à la problématique du financement de ces grands projets, ils souhaitent faire recours au secteur privé pour financer et réaliser lesdits projets. Cependant, certaines dispositions légales et pratiques peuvent être perçues par les investisseurs privés comme de réels obstacles, au point où l’on se demande si la libéralisation annoncée du secteur de l’énergie solaire est effective.
Une brève analyse de ces dispositions légales permettra de fixer l’ampleur des obstacles à une libéralisation effective du secteur de l’énergie solaire et de vérifier si ces entraves sont surmontables.
Elle permettra également de poursuivre la réflexion sur les mesures incitatives optimum à prendre par l’Etat Burkinabè en vue de susciter davantage d’intérêt de la part des investisseurs privés.
Nous aborderons, pour ce faire, les obligations qui pèsent sur l’Etat burkinabè en matière d’accès des populations à l’énergie avant d’énoncer quelques obstacles relevés par les investisseurs privés.
L’obligation pour les Etats d’assurer aux populations l’accès à l’énergie
Au niveau international, la majeure partie des Etats du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, dont le Burkina Faso, a signé et ratifié les traités internationaux et régionaux qui garantissent des droits fondamentaux aux citoyens, desquels on peut inclure le droit à l’énergie.
En effet, l’article 11 du Pacte International sur les Droits Economiques Sociaux et Culturels (PIDESC)[1] prévoit que : Les Etats parties au Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie.
En l’absence d’un accès adéquat à l’énergie, ni les hôpitaux, ni les écoles par exemple ne peuvent fonctionner correctement. De même, l’accès à l’eau potable et l’assainissement sont dépendants de l’énergie, tout comme la productivité. Il ne peut donc y avoir de niveau de vie suffisant si l’accès à l’énergie n’est pas assuré. Ce droit devrait être davantage garanti avec la ratification, par le Burkina le 24 septembre 2012, du protocole facultatif se rapportant au PIDESC.
Par ailleurs, l’article 22 alinéa 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) prévoit que les Etats ont le devoir, séparément ou en coopération, d’assurer l’exercice du droit au développement, et l’article 24 de ladite Charte de préciser que tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement.
En outre, le préambule et l’article 1 de l’Acte additionnel n°04/2001 portant adoption de la politique énergétique commune de l’UEMOA mentionnent clairement la nécessité pour les Etats membres d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des populations, à la protection de l’environnement et à la prospérité des économies.
Ces obligations ne peuvent pas être remplies en l’absence d’une fourniture large et permanente de l’énergie électrique à l’endroit des populations.
Au niveau interne, aussi bien les Constitutions que les lois des Etats subsahariens mentionnent de manière explicite ou implicite le droit des populations à l’énergie.
Ainsi, l’article 18 de loi constitutionnelle burkinabè n°072-2015 du 05 novembre 2015 dispose que l’éducation, l’eau potable et l’assainissement, l’instruction, la formation, la sécurité sociale, le logement, l’énergie, le sport, les loisirs, la santé, la protection de la maternité et de l’enfance, l’assistance aux personnes âgées, aux personnes vivant avec un handicap…..constituent des droits sociaux et culturels reconnus par la Constitution qui vise à les promouvoir.
Enfin, la loi n°014-2017 du 20 avril 2017, portant règlementation générale du secteur de l’énergie au Burkina Faso dispose, à son article 9, que la Société Nationale d’Electricité du Burkina assure l’approvisionnement en énergie électrique en quantité et en qualité suffisante.
Il faut en conclure qu’aussi bien au niveau international, régional qu’interne, des textes juridiques imposent aux Etats de garantir aux populations une fourniture adéquate en énergie. En dépit de l’existence de ce cadre légal, le Burkina Faso n’a pas encore atteint les objectifs escomptés en matière d’énergie et plus particulièrement d’énergie solaire déclinés dans la Lettre de Politique Sectorielle de l’Energie (LPSE) n°52 du 29 décembre 2016[2]. Le pays dispose cependant d’un véritable potentiel en matière d’énergie solaire qui n’attend qu’à être valorisé.
Le recours à l’investissement privé pour développer le potentiel énergétique solaire
Le Burkina Faso, tout comme les autres pays sahéliens, a un niveau d’ensoleillement très élevé et intense, avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an et un productible de 5,8 à 7 kWh par m².
Pour autant, le Burkina Faso importe plus de 60% de sa consommation d’électricité depuis des pays voisins tels la Côte d’Ivoire et le Ghana, dont la production est surtout basée sur l’énergie dite conventionnelle. Or, selon le rapport de 2009 de l’Initiative Régionale pour l’Energie Durale (IRED), les pays membres de l’UEMOA connaîtront un déficit énergétique de 24 102 MW à l’horizon 2030.
Il est donc évident que si la demande énergétique continue de croître de façon exponentielle et sans adéquation avec l’offre, les rares pays qui aujourd’hui exportent l’énergie seront eux-mêmes en déficit dans quelques temps, et le Burkina Faso ne pourra plus compter sur l’énergie importée depuis ses pays voisins.
Par ailleurs, sans faire référence aux projets de centrales en cours de développement, le parc de production solaire connecté au Réseau National Interconnecté du Burkina compte essentiellement deux (02) centrales, dont la centrale de Ziga de 1,1 MWc et celle de Zagtouli 1 de 33 MWc, mises en service respectivement en avril et en novembre 2017, et dont le taux de rendement est très faible par rapport au potentiel solaire.
En outre, la Stratégie nationale du secteur de l’énergie 2019-2023 fait état d’un ensemble de groupes vieillissants du parc de production, d’une puissance cumulée de 29,59 MW, lesquels devraient être déclassés. Se présente dès lors une belle opportunité pour le pays de recourir davantage aux installations solaires.
Or, si le secteur de l’énergie solaire peine à prendre son envol, c’est en partie dû à la faiblesse des ressources financières de l’Etat pour construire des grandes centrales photovoltaïques et à son déficit technologique, notamment en matière de stockage d’énergies.
L’Etat s’est donc résolu à faire appel à l’investissement privé afin de pallier ces difficultés. A travers l’adoption de la loi n°014-2017/AN du 20 avril 2017 portant règlementation générale du secteur de l’énergie et ses textes d’application, l’Etat du Burkina Faso entend procéder à :
– la libéralisation des segments de production et de distribution ;
– la suppression de la segmentation, ce qui permet l’installation des Producteurs indépendants d’électricité (PIE) sur toute l’étendue du territoire national ;
– la prise en compte des dispositions communautaires prévues dans le cadre de la construction du marché sous-régional de l’électricité ;
– la suppression de l’acheteur unique d’électricité ;
– l’introduction de dispositions spécifiques relatives à la promotion des énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique.
L’Etat encourage donc les investisseurs privés, nationaux et étrangers, à développer des projets de construction de centrales photovoltaïques sur des sites déjà identifiés ou à identifier et à construire des usines de fabrication de matériels et équipements solaires performants. En levant quelques obstacles clairement identifiés, une meilleure adhésion des investisseurs privés à ces projets pourrait se révéler.
La nécessité de lever certains obstacles pour un meilleur investissement dans le secteur de l’énergie solaire
A l’instar des autres pays de l’UEMOA, le Burkina Faso dispose d’un Code de l’investissement qui se veut attractif et favorable aux investissements étrangers directs. A titre illustratif, l’article 8 du Code des investissements prévoit que les personnes morales immatriculées au Burkina Faso ne peuvent être soumises à des mesures discriminatoires de droit ou de fait dans le domaine de la législation et de la réglementation qui leur sont applicables, quelle que soit la nationalité des investisseurs. Elles sont également assurées de la garantie contre toute mesure d’expropriation directe ou indirecte, sauf pour cause d’utilité publique. Le cas échéant, elles bénéficient d’une juste et préalable indemnisation conformément à la réglementation en vigueur.
Par ailleurs, pour toutes les questions relatives au traitement des investissements, les entreprises étrangères et leurs dirigeants bénéficient d’un traitement identique à celui accordé aux entreprises et aux dirigeants de nationalité burkinabè sous réserve de réciprocité de la part de leur pays d’origine
Nonobstant ces dispositions favorables aux investissements, quelques imperfections ont été identifiées en ce qui concerne le cadre juridique de l’énergie solaire qui mériteraient d’être levés afin de clarifier les régimes juridiques et inciter davantage les investisseurs à occuper ce nouveau segment.
Citons par exemple le régime des autorisations et concessions de production/distribution ou de distribution de l’énergie électrique et le cadre dans lequel elles sont accordées : le Décret n°2020-255/PRES/PM/ME/MCIA/MINEFID/MATD/MUH du 07 avril 2020 utilise comme critère de distinction entre concession et autorisation le rayon de couverture géographique, soit un kilomètre maximum pour les autorisations et au-delà pour les concessions. Mais ce cadre n’est pas si clair que cela. En effet, en matière d’autorisations et de concessions, même si un cahier de charges est établi, peuvent exister quelques incertitudes juridiques dans les rapports entre l’investisseur et l’Administration, du fait de l’absence d’un cadre contractuel clair.
Par ailleurs, le Décret susvisé ne pose pas une règle simple en matière de compétence pour délivrer une autorisation ou accorder une concession et l’application faite à la règle est parfois fluctuante. Ainsi, compétence est donnée au Président du Conseil Régional pour la délivrance des autorisations et concessions dans le domaine de l’électrification rurale, alors que c’est au Ministre de l’Energie que cette compétence revient pour les autres domaines (hors champ rural). Il peut arriver qu’un projet d’électrification rurale s’étendent sur deux ou plusieurs régions, ce qui pose la question de l’autorité administrative compétente pour délivrer les titres d’exploitation, étant donné que cette problématique ne semble pas expressément résolue par le Décret susvisé.
Citons également comme obstacle à l’investissement le chevauchement de titres d’exploitation. Par exemple, une concession accordée à un investisseur pour la production et la distribution de l’énergie électrique, prise en tant que bien, peut se chevaucher, sur le même espace géographique, aux activités d’un autre investisseur pour la production et la distribution de l’énergie, prise en tant que service, ce qui est de nature à remettre en cause l’exclusivité octroyée.
La question du temps et du coût d’acquisition de la propriété foncière peut également être vue comme un obstacle, car pour des projets d’envergure, telle l’installation de centrales photovoltaïques, il est nécessaire d’obtenir de grandes superficies de terres et souvent en zone rurale. Or, selon les dispositions de la loi n°034-2009 du 16 juin 2009 portant régime foncier rural, la terre n’appartient plus exclusivement à l’Etat, et les habitants des localités concernées peuvent être propriétaires terriens, ce qui implique des coûts et délais de cession et de mutation. En l’absence d’une implication de l’Etat, l’opération peut donc se révéler longue et coûteuse.
En outre, il convient de relever que certes, une exonération à la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) sur les ventes et importation de certains matériels solaires est prévue par le Code Général des Impôts et l’Arrêté interministériel N°2020-33/ME/MINEFIED/MCIA du 16 mars 2020, mais cette mesure incitative n’est pas systématique puisqu’étant soumise à une attestation d’éligibilité délivrée par un Etablissement public à caractère administratif qui est exclusivement compétent.
Enfin, l’existence de prix-plafonds imposés à l’investisseur et contrôlés par l’Autorité de Régulation du Secteur de l’Energie (ARSE) peut être perçue comme une entrave à la libre fixation des prix, surtout lorsque le cadre règlementaire prévoit que la révision des conditions tarifaires est fixée à cinq (05) ans. Ces obstacles ne paraissent toutefois pas insurmontables et peuvent être identifiés et traités par la rédaction d’une convention de concession.
Conclusion
L’espace Ouest-Africain, et particulièrement le Sahel, offre des opportunités de développement de grands projets solaires. Les études et rapports de plusieurs Instituts de recherche montrent que le productible solaire y est d’une très bonne teneur et la demande énergétique ne fait que s’accroître au fil des ans. Jusqu’à peu, les Etats étaient hésitants à libéraliser le secteur de l’énergie, mais à ce jour, ils créent un terreau favorable à l’investissement privé. Si l’équilibre économique dans les rapports contractuels entre l’Etat et les investisseurs privés peut toujours être discuté, le droit d’accès des populations à l’énergie électrique n’attend pas, c’est un impératif.
BONKOUNGOU Régis
Avocat, SCPA SARI Conseils
[1] Le Burkina Faso a ratifié le PIDESC le 04 janvier 1999 et signé le protocole facultatif relatif au PIDESC le 24 septembre 2012
[2] La Lettre de Politique Sectorielle de l’Energie (LPSE) en cours de relecture devrait reconduire les objectifs non atteints, voire les amplifier.